PASCALE
En 2009, à 40 ans, je vivais dans l’agitation. Lors d’une méditation, j’ai entendu : « Vas t’acheter une toile, un pinceau et peins ». J’ai fait ce que cette voix me suggérait.
Je peins à l’acrylique, dans une approche abstraite, semi-figurative. Ce qui me plaît de l’abstraction est cette liberté totale, sans aucun point de repère. Dans mon travail, pour chaque geste posé, je demande à mon intellect et à mon jugement de quitter. Je désire explorer ce qui vient de l’intérieur.
Autodidacte, je ne souhaite aucune influence extérieure. C’est pourquoi je ne désire acquérir aucune formation artistique. Ma personnalité spontanée me pousse à suivre un courant de liberté qui me permet de découvrir ma nature profonde et m’aide à l’assumer totalement. J’ai confiance au hasard et à mon essence. Unique.
La démesure m’attire.
On reconnaît mes oeuvres par la quantité abondante de matière que j’y applique et par la grandeur de leurs formats. Plus il y en a, plus j’aime ça. Dans chacune d’elles on retrouve les traits d’un visage; tout le temps et depuis toujours. Pour moi, c’est ce qui peut le mieux exprimer une émotion ou une énergie ressentie.
Mon travail comporte deux étapes bien différentes :
La première est physique;
Les couleurs et l'énergie sont déposées sur une toile par gestes impulsifs, écouteurs et musique à l’oreille. Mes couleurs sont énergiques, puissantes, audacieuses, très denses.
Mon intention est de créer d'abord un fond coloré, sur lequel je répands les peintures directement de leurs contenants. Une fois la surface recouverte de ces généreux déversements, je soulève la toile de mes mains pour la mettre debout et ensuite observer la matière qui coule lentement.
J’utilise des cuillères pour lancer l’acrylique sur ma toile. J’aime que le jet puisse sortir du canevas, comme si ma toile vivait aussi à l’extérieur de son coton.
Je termine ensuite à la spatule. Je ne veux aucun cadre restrictif limitant le mouvement. Les côtés de ma toile font parties de l’oeuvre; c’est là que j’y essuie ma spatule, là où la matière se dépose. Termine son chemin.
Plus grande est la toile, plus je suis ravie. J'aime remarquer ma fatigue lorsque j'étale ma texture. J'aime ce que la toile me demande, j'aime ce que je lui donne. J’aime regarder tous ces résultats pendant mon travail. C’est magnifique pour mes yeux. De la peinture, il n’y en a jamais assez. Je vide les pots. Je m’arrête quand il n’y en plus.
La deuxième étape est contemplative;
Une fois la toile sèche, debout, je la regarde. Je prends le temps nécessaire pour découvrir ce qu’elle veut me dire. Pour chaque geste posé, je la laisse me guider. Je résiste parfois jusqu’à l’inconfort, puis je lui redonne ma confiance à nouveau. C’est comme ça que je peins. C’est la seule façon que je sais le faire.
Peu à peu je devinerai les traits d’un visage. En premier, je perçois l’angle, incliné, souvent vers le bas. Il me rend témoin de sa prière, m’apparaît à sa façon dans toute cette matière colorée. Ensuite, j’avance vers ma toile, petit pinceau à la main; la relation gagne en intensité. C’est très émotif, un moment de grâce. Avec de fines lignes, je dessine ce qu’il m’invite à exprimer, pour vous permettre de le voir à votre tour.
L’inspiration vient d’ailleurs, d’un endroit qui m’est totalement étranger et où je ne suis maître de rien. Mon but premier est de laisser place entière à cette guidance. Quand l’abandon survient, c’est une ivresse magnifique.
Ce visage, le voyez-vous?
Vient ensuite ce ‘’ Pascale ‘’ sur ma toile.
Ce n’est pas ma signature, je ne signe pas de cette manière. C’est une présence. C’est une petite fille de 6 ans qui commence à écrire, en prenant soin de mettre un espace avec son doigt entre chacune des lettres, comme le professeur lui a si bien montré.
Appliquée.
Elle fait partie de mon oeuvre. Sa présence est aussi importante que le visage, la matière et les couleurs.
Est-ce moi?
Je n’en sais rien, mais elle a besoin d’exister et je lui permets de le faire.
Avec le temps, mon travail a évolué, j’ai gagné en assurance.
Le visage est très présent pour moi, mais de plus en plus difficile à percevoir, les traits sont plus libres. Je l’assume. La matière est de plus en plus abondante, mon travail devient quasi structural. Mes toiles invitent au toucher.
Quand on aime, on touche aussi.
Je désire permettre aux gens un contact physique avec la matière; leur donner une expérience personnelle à vivre, les ramener à l’essentiel. Offrir une rencontre authentique et non pas esthétique ; un temps d’arrêt, de prière. Pour eux.
Mon atelier est l’endroit où je vis, j’ai besoin de voir mes canevas dès mon réveil, mon travail en production, mon acrylique sur mon plancher, tout ça fait partie de moi. Pascale a besoin de ça.
Peindre pour moi est un acte de confiance et d’humilité. Dans une société comme la nôtre, il est difficile de laisser place à mon intuition et de lui faire totalement confiance. Souvent, j’aimerais qu’elle soit toute autre.
Pour moi, l’art est divin, et spirituel.
P.